Quels animaux vivaient dans la région? Le faible échantillonnage d’os recueillis dans la «casemate» (la tour sud flanquant la porte principale) donne une indication. Mouton, chèvre, bœuf, porc, chien, cheval, poule ont été identifiés. Ces animaux domestiques dominent nettement le site vulliérain. On les retrouve dans d’autres sites de l’âge du Fer. Plusieurs de ces animaux ont été bouchoyés, y compris les chiens. Les traces d’activités de chasse ou de pêche sont très réduites: à part quelques ossements de poissons, on a retrouvé dans le fossé les restes d’une martre dépecée.
En fonction des os retrouvés, il apparaît que les caprinés (moutons et chèvres) sont les plus nombreux. Cette importance peut s’expliquer par un environnement favorable. En nombre, ils sont suivis des bœufs et des porcs. Les bovins du Mont Vully sont de petite taille, entre 1 m et 1,35 m au garrot. Le cheval est très peu représenté par rapport à d’autres oppida comme celui de Manching (D). La poule est faiblement présente. Elle était encore rare en Europe occidentale.
Un mystère peut-être percé
A-t-on «consacré» l’oppidum du Vully lors d’un rituel? C’est ce que laisse supposer l’examen des mandibules d’une mâchoire de bœuf retrouvée au pied de la tour sud, non loin de l’entrée principale. Les traces de découpe laissées sur les deux os maxillaires, la disposition particulière dans laquelle on a retrouvé ces pièces (enfouies verticalement sous de gros boulets morainiques qui étayaient le pied du rempart) ainsi que l’endroit spécifique de leur enfouissement (près de l’accès principal de l’oppidum, devant le poteau central de la tour) plaident pour un acte volontaire et chargé de sens.
Cette découverte est à mettre en relation avec celle de mandibules et d’omoplates de quelque 35 bovidés retrouvées dans le fossé défensif d’un rempart celtique du même type que celui du Vully, à Yverdon-les-Bains (CH), à une quarantaine de kilomètres de là. A Yverdon, les restes osseux datent du milieu du premier siècle avant J.-C. Ils ont été enfouis peu de temps avant la démolition du rempart et pourraient représenter ici un rite de «désacralisation» de l’ouvrage. Au Vully, on a retrouvé les restes d’au moins six bœufs.
Par analogie, on pourrait voir dans les mandibules bovines du Vully un rite de «consécration» du rempart au moment de sa construction (vers -120 avt J.-C.), fortification dont la valeur de prestige ne fait aucun doute. Le bœuf était lui aussi un animal domestique de prestige.
Les archéologues Gilbert Kaenel et Philippe Curdy, qui signent un récent article sur le sujet («Revue de Paléobiologie», Genève, déc. 2005), tentent de restituer certaines étapes de ce «rituel du bœuf sur l’oppidum du Mont Vully»: la mise à mort de l’animal sélectionné, suivi d’un festin au cours duquel sont consommés des morceaux choisis, notamment les joues et la langue; puis, pendant quelques semaines ou quelques mois, on expose à l’air libre le crâne de l’animal avec sa mâchoire encore rattachée, ou la mâchoire seule; enfin, on prélève les mandibules et on les enfouit devant la tour en construction.
Ainsi serait percée l’énigmatique découverte faite lors des fouilles. Pourtant, prudence de scientifiques oblige, les deux archéologues «n’osent guère poursuivre la réflexion sur des bases si fragiles». Et de se demander si l’on a ici à faire avec un rituel de repas collectif lié au bœuf ou s’il s’agit d’un rituel sacrificiel. «N’oublions pas non plus la variété des goûts alimentaires et la force des traditions régionales qui peuvent intervenir dans ces choix; nous sommes en territoire helvète et non chez les Bellovaques de la Gaule Belgique…», concluent-ils.